Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Lyonnaiseries et autres gandoises

13 janvier 2007

GNAFRON LYONNAISERIES ET AUTRES GANDOISES Pièce

gnafron4


GNAFRON

LYONNAISERIES ET AUTRES GANDOISES

Pièce en cinq tableaux pour le Thiâtre Yonnais

Personnages :
Gnafron, regrolleur (cordonnier spécialisé dans la réparation des vieilles grolles).
Guignol, compère de Gnafron, canut au chômage.
Mère Cottivet, vieille lyonnaise, voisine de Gnafron et de Guignol.
Le montreur de marionnettes, dit le Tireur-de-ficelles.

Scène 1

(Au bas de la montée de la Grande Côte, dans l’atelier de Gnafron, en fin d’après-midi. Gnafron est assis devant une table. Un stylo à la main, il relit à haute voix un morceau de ses zécritures.)

Gnafron (appliqué) : La grande affaire politique de la Rentrée, c’est une élection qu’on est prié de ne pas s’en mêler. Maginez-vous que le 26 septembre, les Grands Zélecteurs du Rhône désigneront sept sénateurs qu’iront siéger neuf années d’affilée parmi les assis du Palais du Luxembourg.

Les Grands Zélecteurs, que sont pas plus grands que vous et moi, y sont tous des élus ou des copains des élus. C’est vous dire que c’te affaire là, elle est à la démocratie ce que le hamburger est à la gastronomie.

N’empêche ! y zéliront des gensses que feront la loi à égalité acque les députés de l’Assemblée nationale. Ça n’est quand même pas de rien. Eh ben nous, on n’aura pas not’ mot à dire sur cette désignation que ressemble tout à fait à du copinage, ou, comme dit le petit Robert Larousse, à une cooptation. Et qui donc qu’y vont élire, ces zélés zélecteurs ? Je vous le donne en mille !… ceux-là même qui les ont nommés Grands zélecteurs, c’est à dire des gensses qu’ont déjà plein de mandats de la République. Et comme cette élection, elle est à la proportionnelle, la droite et la gauche se partageront, sans trop se chamailler, les fauteuils de velours. Quatre pour les uns et trois pour les autres. A moinsse que ça soye l’inverse.

(interrompant sa lecture) Ça me rappelle une phrase de Manuel Vasquez Montalban, cet écrivain catalan qu’aurait mérité d’être de Lyon et qui, même s’il parlait une langue étrangère d’un autre pays, avait à coup sûr sa place à l’Académie des Pierres Plantées, qu’est une assemblée autrement plus canante que le cénacle des assis du Luxembourg. (Pendant l’aparté de Gnafron, Guignol entre sur la pointe des pieds dans l’atelier et vient se cacher derrière Gnafron) Ce Montalban, il a créé Pepe Carvalho, un sacré bougre de détective, et écrit tout plein de romans dans lesquels il parvient toujours à placer une recette de cuisine que vous met les papilles en émoi. Comme par exemple le tartare de poisson. Vous faites macérer des filets de loup dans de l’huile d’olive, du sel et du poivre vert ; vous préparez un hachis avec des oursins, des palourdes et des gambas…

Guignol : Eh, Gnafron, t’écris un livre de cuisine ?

Gnafron : (tournant la tête à droite et à gauche) Hein ? qui c’est-y-qui m’apostrophe ? Ah, c’est toi Guignol ! je t’avais point entendu venir. Mais non, j’écris pas des recettes, je fesais mon édito.
Guignol : Ben mon belin, te velà bien sérieux ! Et de quoi y parle ton édito ?

Gnafron : Des cumulards et des zélections sénatoriales.

Guignol : T’es sûr ?… je crois bien que t’étais en train de causer de hachis de fruits de mer…

Gnafron : T’as raison Chignole, je m’égare… où est-ce donc que j’en étais ? Ah, oui ! les ceusses que vont être appelés, et même élus, au Sénat, y sont déjà pleins de mandats de la République et des argents que vont avec. Même que ça me fesait souvenance d’une phrase de Montalban…

(il reprend ses feuilles pour lire, d’un ton appliqué, la suite de ses zécritures) La liste que se prétend de gauche, elle a à sa tête le Gégé Merdelion qu’est déjà parsident de la Communauté urbaine de Lyon en plus de s’asseoir dans le fauteuil de la mairie …

Le montreur de marionnettes : Stop ! Arrêtez ! ça ne va pas du tout !

(En proie à une grande agitation, il sort des coulisses. Il porte au bout des mains les marionnettes de Gnafron et de Guignol et brandit le texte de la pièce.)
C’est quoi ça : « Gégé Merdelion » ?

Gnafron : Comment ça, « c’est quoi ça » ? Le Merdelion tout le monde y le connaît. Même les petits mamis. Et même aussi les supporters de l’OL !

Le montreur de marionnettes : C’est pas là la question ! Je lis (il lit le texte de la pièce) : « Gégé Merdelion ». (il épelle) M.E.R.D.E.L.I.O.N. (il scrute Gnafron d’un air désapprobateur)

Gnafron : Eh ben, Gégé c’est le diminutif de Gérard. C’est affectueux.

Le montreur de marionnettes : ça je veux bien, mais Merdelion ?

Gnafron : (à Guignol) C’qu’y peut être bête c’lui-là ! (au montreur de marionnettes) Merdelion c’est sa fonction, au Gégé. Du moins, une de ses fonctions, pace qu’il est aussi….

Le montreur de marionnettes (interrompant Gnafron) : Evidemment ! Mais c’est la façon de l’écrire et de le prononcer qui ne va pas ! ça ne s’écrit pas (il épelle) M.E.R.D.E.L.I.O.N. ça s’écrit (il épelle) M.A.I.R.E. espace D.E. espace L.Y.O.N.

Gnafron : Acque tous ces espaces, ça va prendre de la place ! Surtout que le Gégé il a plein d’autres mandats ! Si je dois mettre des espaces partout j’aurai jamais assez de place pour l’écrire !

Guignol : M’est avis que te devrais l’appeler Gégé 1er . Ou bien Louis-Philippe Collomb.

Le montreur de marionnettes (excédé) : Qu’est-ce que c’est encore que cette histoire de Louis-Philippe ?

Gnafron : C’est juste une gandoise. Ce doit être rapport au Louis-Philippe que vivait du temps de notre pepa Mourguet et qu’était, prétendument, un monarque-républicain…
Le montreur de marionnettes (de plus en plus excédé) : Quel rapport ?

Gnafron (faussement naïf) : Le rapport avec Laurent Mourguet ?

Le montreur de marionnettes (éructant) : Mais non ! (en aparté au public) C’qu’y peut être bête c’lui-là ! (à Gnafron) Quel rapport avec Louis-Philippe ?

Gnafron (faisant l’imbécile) : Le rapport acque Louis-Philippe du temps d’autrefois ? Euh… Eh ben… J’en sais pas trop rien.

(Le montreur de marionnettes se tourne vers Guignol. D’un geste du menton, il le somme de s’expliquer.)
Guignol (sûr de lui): Du temps que vivait notre pepa Laurent Mourguet, le prince que dirigeait le pays, y s’appelait Louis-Philippe.

Le montreur de marionnettes (impatient) : Nous savons. Et alors ?

Guignol : Alors ? Alors, c’est tout. (un temps) Ah si ! ça me revient ! Les Yonnais de ce temps y disaient à son propos : drapeau tricolore sur la façade, mais, par dedans, parti-pris de l’aristocratie, règne de l’autosatisfaction et exécration de tout ce qui ne se plie pas au bon vouloir du Prince.

Le montreur de marionnettes (haussant les épaules) : Je ne vois toujours pas le rapport !

Gnafron (s’interposant) : Bon ! ça va pas bientôt finir toutes ces histoires que riment à rien ? ça va quand même pas durer si tant que la foire de Villefranche ! Pour clore la discussion, on va dire qu’on s’en tient au (il épelle) M.A.I.R.E. espace etcetera… Mais comment donc que ça se prononce ?

Le montreur de marionnettes (en aparté au public) C’qu’y peut être bête c’lui-là ! (à Gnafron) ça se prononce comme ça s’écrit : (il articule en détachant chaque syllabe) Mai-re-de-li-ion.

Gnafron (faisant mine de s’appliquer) : Mai-reu-espace-deu-li-i-ion.

Le montreur de marionnettes : Mais non ! Il ne faut pas dire les espaces. Il faut juste les faire sentir.

Gnafron (conciliant) : Bien, bien. Alors je tâcherai moyen de bien les faire sentir.

Le montreur de marionnettes : Promis ?

Gnafron : Juré !

Le montreur de marionnettes : Sûr ?

Gnafron : Certain !

Le montreur de marionnettes : Vraiment ?

Gnafron : Craché !

Le montreur de marionnettes : Bon, alors ça va pour cette fois. Mais que je ne vous y reprenne plus ! Allez, on reprend ! (il quitte la scène)

Gnafron : Où est-ce donc que j’en étais ? (il fouille dans ses feuilles) Ah, oui ! Velà ! (il reprend sa lecture, d’un ton appliqué) La liste que se prétend de gauche, elle a à sa tête (il regarde furtivement en direction des coulisses) le Gégé Mai-re (il mime un espace avec ses bras) de (nouveau mime) li-ion qu’est déjà parsident de la Communauté urbaine de Lyon en plus de s’asseoir dans le fauteuil de la mairie. En deuxième y a une dame Demontès, qu’est déjà vice-parsidente de la Région Rhône Alpes et aussi adjointe à la députée-maire de St Priest. A droite, c’est du pareil au même. Y a cette grande couenne de Michel Mercier, qui porte un nom d’actrice de cinéma alors qu’y ressemble au charcutier de Thizy, et qu’est parsident du Conseil général du Rhône. Et pis y a le Perben qu’est tout à la fois Premier vice-parsident du Conseil général, ministre de la Justice et Garde des Sots, alors que ça, ça devrait être un boulot à temps complet, vu le nombre de benazets qu’on croise par les temps qui courent.

Guignol : Eh ben, grande bugne, c’est-y que tu découvres le monde ?

Te sais pas encore que ceusses qu’ont un siège, y z’ont rien de plus pressé que d’avoir un fauteuil et que, par après, s’y peuvent en agraper un de plus, y restent pas longtemps à barguigner. Tant plus y z’en ont, tant plus y z’en veulent. Faut croire que ces fonctions là, ça leur crée moins d’embiernes que de contentement.

Tiens, par exemple, apinche le Buna, qu’est devenu Vert tant il a mis de rage à acuchonner les titres et les escalins ! Il est adjoint au (il regarde en direction des coulisses) maire de Lyon et pis aussi vice-parsident de la Communauté urbaine et pis encore conseiller général. En plus, y voulait faire député de la Croix Rousse, mais le petit Hamelin lui a pris la place. Ou bien encore le Vonvon Deschamps, le mari à la Martine Roure qu’est dépitée européenne et adjointe au Gégé, le Vonvon, donc, il est aussi adjoint aux phynances du (temps) maire de Lyon, parsident des HLM du Grand Lyon et conseiller régional à Charbonnières. En veux-tu encore ? Le Braillard, du parti des radicaux de gauche, que compte plus d’indemnités que d’électeurs, il est adjoint aux sports du Gégé, conseiller de la Communauté et vice-parsident de la région… Y en encore un cuchon d’autres tout pareils… mais t’as pas dit quelle était cette phrase que te fesait souvenance.

Gnafron : T’as encore raison Guignol. Te sais, le Montalban, y disait aussi que les livres ça servait aussi bien à allumer la cheminée. Je me demande si mon édito je ferais pas mieux d’en faire du combustible pour mon poêle. C’est pour le coup que ça serait un vrai brûlot…

Guignol  (agacé): Gnafron ! Te veux pas la dire cette citation, que te tournes toujours autour ?

Gnafron : Ah mais si ! velà ! le Montalban il a écrit dans Le pianiste et pis aussi dans La joyeuse bande d’Atzavara : « La politique c’est pour ceux qui en vivent ; tandis qu’une poignée d’hommes étaient prêts à mourir pour des idéaux qui impliquaient l’ensemble du genre humain. »

Guignol : Ecoute Gnafron, ton édito te vas l’envoyer à Lyon Capitale que sûrement le publiera pas parce que ça pourrait faire peine au Gégé et à ses frangins de la rue Garibaldi qu’ont décidé que la politique c’était affaire trop sérieuse pour la laisser aux citoyens, et pis nous on va aller faire un tour à la vogue de la Croix Rousse. On va se prendre un cornet de marrons acque un pichet de vin blanc doux et pis on fera un tour de grande roue. A l’arrivée on s’ra pas plus haut qu’on était au départ, mais, au moins, on aura vu la ville d’en haut sans devoir rien à personne et sans avoir embobeliné quiconque.

(Guignol prend Gnafron par le bras pour l’entraîner hors de l’atelier. Ils font quelques pas, puis Gnafron s’immobilise…)
Gnafron (d’un ton grave) : Dis donc, Guignol, … et si on prendrait un pot de Côtes en place du vin blanc doux ? … à cause que mes boyes s’acclimatent pas au vin nouveau, alors que le rouge me réjouit de la trogne aux arpions.

(ils sortent de l’atelier)

(Obscurité sur la scène. On entend, au loin, une voix qui fredonne des fragments de la chanson des Canuts d’Aristide Bruant.)

Pour gouverner, il faut avoir

Manteaux ou rubans en sautoir.

Pour gouverner, il faut avoir

Manteaux ou rubans en sautoir.

Nous en tissons pour vous grands de la terre

Et nous, pauvres canuts, sans drap on nous enterre.

C’est nous les canuts,

Nous sommes tout nus !….

Scène 2

(Rue du bas des Pentes de la Croix-Rousse, en fin de matinée. La Mère Cottivet entre sur la scène. Elle avance à petits pas. Elle porte un cabas remplit des produits qu’elle a achetés au marché.)

La mère Cottivet : Ah, mes belins, quelle affaire ! J’en suis toute retournée ! (elle se tourne à droite, à gauche, cherchant un endroit où elle pourrait s’asseoir) Ce pauvre Gnafron en a même perdu l’envie de boire… (elle s’assied sur un banc) Maginez-vous que son éditorial sur les élections sénatoriales n’a pas eu l’heur de plaire au merdelion..

Le montreur de marionnettes (qui est dans les coulisses) : Ah non ! ça va pas recommencer !

La mère Cottivet (s’est brièvement interrompue, cherchant d’où est venue la voix) le merdelion, qui, par l’occasion, a montré qu’y n’était qu’un pisse-froid… malgré les airs qu’y se donne.. et pas davantage au parsident du conseil général -mais ça c’est pas une surprise- sans même parler de leurs alcoolites.

Le Gnafron a donc été sommé de cesser ses écritures et de s’occuper de ses grolles. Ça lui a fait comme un coup de tavelle sur le coqueluchon !

Faut dire qu’en ce moment, il acuchonne les embiernes. Il attire si tellement les bissêtres qu’y ferait même se noyer une barque de crucifix.

Le velà donc qu’y se morfond dans son ateyer, tournant en rond en attendant le client. En plus, des clients, l’en a pas trop par ces temps où le chaland y préfère les grolles en sinquétic que se jettent avant que d’être usées. L’est donc tout déprimé, le Gnaf, et n’a plus goût ni de chanter, ni de boire. Y reste à lambinocher, à longueur de journée, les quinquets tout z’éteints. Bref, y fait rien qu’à rien faire.

Tout ça parce que le merdelion…

Le montreur de marionnettes (en coulisses) : Cette fois, c’en est trop !

La mère Cottivet (ne s’est pas laissée interrompre) : … et le parsident de Thizy y z’ont dit partout, urbi et orbi, que le Gnafron y n’écrivait que des sottises et qu’y n’y connaissait rien à la politique et que si y levait moins le coude en toutes occasions, y serait moins porté à écrire des gandoises que font rire personne, et surtout pas ceusses que sont concernés. Enfin y z’en ont dit pis que pendre sur son dos. Si qu’on était encore sous l’Empire, le Gnaf aurait été bon pour le bannissement…

(Pendant que la mère Cottivet poursuit son monologue, le montreur de marionnettes entre sur scène. Il sort d’un pas vif des coulisses, mais se fige en apercevant la mère Cottivet. Après un moment d’hésitation, il se dirige, à pas mesurés, vers la mère Cottivet. On devine qu’il hésite à l’interrompre.)
Sans doute que si, aux temps anciens d’autrefois, notre ville avait eu des échevins du même tonneau que nos édiles d’aujourd’hui, Rabelais n’aurait pas publié à Lyon son Pantagruel, ni son Gargantua.

(Le montreur de marionnettes est arrivé près de la mère Cottivet. Il se tient derrière elle, immobile et silencieux. Il a au bout des mains la marionnette de la mère Cottivet)
Nous velà avertis ! maître Alcofribas Nasier n’a plus le droit de cité à Myrelingues-la-Brumeuse et le Laurent Mourguet est prié d’aller voir ailleurs quel temps y fait… Le Gnafron, y doit plus dire que des choses agriables sur nos édiles.

(la mère Cottivet n’a pas vu l’entrée du montreur de marionnettes, mais elle devine sa présence dans son dos. Elle se lève, se retourne, lui fait face en affichant un visage menaçant et lui destine sa réplique).
Y paraît que les marionnettes doivent le respect aux tireurs de ficelles !

(Le montreur de marionnettes fait un pas en arrière. La mère Cottivet le fixe, le reluque de la tête aux pieds . Le montreur recule. La mère Cottivet l’abandonne d’un air dédaigneux, se retournant pour reprendre son propos. Le montreur de marionnettes, piteux, quitte la scène pendant les derniers propos de la mère Cottivet.)
Mais vu qu’on est quand même encore un petit peu en République et que je suis pas une marionnette et que mon âge me protège des blancs-becs, fussent-ils parsident, maire, sénateur, ou les trois à la fois, je m’en viens dire au merdelion et au parsident de Thizy que si y craignent la feuille, y faut pas qu’ils aillent au bois !

Sur ce, je m’ensauve pour aller consoler le Gnafron, que, j’espère, vous fera bientôt part de ses nouvelles.

(Peu à peu l’obscurité se fait sur la scène, pendant qu’on entend, au loin, plusieurs voix qui entonnent le dernier couplet  de la chanson des Canuts d’Aristide Bruant.)

Mais notre règne arrivera

Quand votre règne finira.

Mais notre règne arrivera

Quand votre règne finira.

Nous tisserons le linceul du vieux monde,

Car on entend déjà la révolte qui gronde.

C’est nous les canuts,

Nous n’irons plus nus !….

Scène 3

(Gnafron est assis au bord de la scène. Le décor représente une rue des Pentes de la Croix-Rousse)

Gnafron (s’adressant au public) : Ce tantôt, dans mon ateyer, j’ai trouvé le dernier numéro du bulletin de l’association du quartier des Capucins. Je l’ai lu d’un jet, presque tout entier. Surtout la première page. Particulièrement le billet du parsident qui cite des extraits de la lettre que lui a été envoyée par le mai-reu de Lyon. Le maire, y dit comme ça qu’il est (il lit le bulletin) « très sensible à l’amélioration de la propreté des quartiers » et qu’une « réorganisation des services communautaires a été engagée depuis un an afin d’améliorer les résultats du nettoiement ».

(il repose le bulletin) Guignol et moi, on a été tout revigorés par cette annonce, attendu qu’on habite au bas du bas de la Grand’Côte et qu’on trouvait, jusqu’à hier, que notre quartier, l’était guère mieux entretiendu que les écuries d’Augias, avant que le Héraclès y se charge de l’ovrage. Aussi, pour apporter notre pierre à l’édifice, on a décidé de lancer une invitation au maire. On voudrait qu’il arreluque par lui-même, acque ses propres quinquets, l’état des lieux..

Pour lui donner un exemple que lui fasse une bonne illustration, on l’invite à s’aller faire un tour, sur le coup des quatre ou cinq heures de l’après-midi, dans la rue Ste Marie des Terreaux. L’en aura pas pour longtemps, pisque cette rue c’est l’une des plus petites de la ville -une des plus anciennes aussi, mais, ça, ça fait rien au temps qu’y faut pour la parcourir- en plus qu’elle est tout à proximité de l’Hôtel de Ville. C’est une rue qu’était si tant animée et gaie et pimpante, au temps d’autrefois, quand le restaurant de Myon faisait face au thiâtre de Joly, dans l’immeuble de la Croix-Verte, au pied des escayers que montent si dret… Bien sûr, par après, ça a beaucoup changé…

Quand y verra, le maire, le cuchon d’équevilles que décore c’te rue au jour d’aujourd’hui, sans compter les vésicules que stationnent au beau milieu, et qu’y sentira comment ça emboconne, sûrement qu’il en aura les sanques tout retournés. Petêtre même que ça lui donnera envie de s’ensauver, de décaniller, de s’abader, de s’escanner, de prendre son cul par l’oreille… sans demander son reste. Mais, le pire, c’est que c’te rue, elle a été toute refaite, les escayers avec, y a pas longtemps, et même que ça a dû coûter la peau des fesses aux phynances municipables. L’urbaniste en charge du projet (comme y disent à la mairie), il avait fait poser des petits pavés, bien chenus, de différentes couleurs. Ben y verra aussi, le maire, dans quel état y sont rendus, les pavés, et pis comment la chaussée neuve elle est déjà toute ablaguée par endroits à cause que des pillandres ont enlevé les pavés pour les remplacer par du bitume…

Si y veut bien, le maire, après la visite, pour le requinquer, on l’invitera à prendre un verre ensemble. A condition que ça soye pas du beaujolais ! Et même que ça nous fait rien si c’est lui qui paye, rapport à Guignol qu’a la mémoire oublieuse et que se rappelle plus où ce qu’il a rangé ses pécuniaux.

(Peu à peu l’obscurité se fait sur la scène, pendant qu’on entend, au loin, la chanson de Jean-Baptiste Clément…)

Quand nous en serons au temps des cerises,

Et gai rossignol et merle moqueur

Seront tous en fête.

Les belles auront la folie en tête

Et les amoureux du soleil au cœur.

Quand nous chanterons le temps des cerises,

Sifflera bien mieux le merle moqueur.

Scène 4

(Gnafron est dans son atelier.)

Gnafron (s’adressant au public) : Le maire de la Croix-Rousse, que doit sûrement être un brave gone, m’a adressé une invitation à m’en venir boire un verre en sa mairie du boulevard, le troisième jeudi de novembre. J’en étais tout émotionné et m’apprêtais à lui envoyer mes remerciements quand je me suis aperçu que c’était pour faire la fête au Beaujolais Nouveau. Alors je me suis dit que ce devait être quéq’un que me fesait une gandoise. Même pas ! C’est une invitation pour de vrai.

Pourtant tout le monde y sait bien, à Lyon, qu’y a trois liquides qu’y faut pas boire : l’eau du Rhône, l’eau de la Saône et le beaujolais nouveau. Surtout particulièrement le troisième !

Pour moi parsonnellement, j’aimerais autant monter une empeinte par un escayer à noyau, que de devoir ingurgiter cette buvande. Je crois qu’y vaut encore mieux avaler de l’huile d’Henri cinq ou même du vin de Brindas, qu’est pourtant du vin qu’y faut être trois pour le boire. (en aparté, comme pour expliquer le sens) : Parce qu’y faut qu’y en ait deux pour tenir l’autre pendant qu’y boit !

Me velà donc placé devant un dilemme quasiment tonnellien. Si j’y vais et que je reste pique-plante sur mes fumerons sans lever mon verre acque les autres, on va croire que je prends des airs de catolle pour faire mon mijoré et être disagriable avec le brave monde. Si j’y vais pas, le Dominique Bolliet, (un temps) -c’est son nom au maire de la Croix-Rousse, d’après ce qu’y a écrit sur l’invitation- le Dominique Bolliet, donc, y va sûrement être très vesqué et, manquablement, y m’invitera plus. Petêtre même que me fera la tête.

(un temps) Remarquez, ça changera pas beaucoup des autres élus. La plupart, y peuvent pas me voir en peinture. Y a ben plus guère que ce brave Bolliet pour m’inviter. Même qu’en y réfléchissant, je me demande comment que ça se fait, vu que j’habite pas dans son arrondissement.

C’est sans doute parce qu’il aime bien ce que j’écris dans le jornal ; surtout quand ça parle de ses camarades socialisses. Comme disait un ami de ma connaissance, « ce qu’y a de bien chez les socialisses, c’est qu’on peut dire du mal de tout le monde ; ça fait toujours plaisir à quéq’un ».

Notez, qu’au jour d’aujourd’hui, c’est sûrement encore plus vrai chez les Verts. Demandez y voir au Buna et à son grand copain, le Etienne… Sans, bien sûr, parler des parisiens de l’UMP acque le De Villepin et le Sarko…

Reste que me velà bien empêtré acque cette invitation. Faut-y que j’y aille ou faut-y pas ? Tiens, je m’en vais demander son avisse à Guignol, qu’est souvent de bon conseil.

Gnafron (criant très fort): Guignol ! Guignol ! (s’adressant au public) Vous allez voir qu’y va venir ! C’est l’avantage du thiâtre, particulièrement du thiâtre de marionnettes du Laurent Mourguet. Quand vous voulez voir quéqu’un, vous l’appelez bien fort et il apparaît comme par enchantement. Ça nous change des Urbains, qu’y soyent municipaux ou nationaux, que sont jamais là quand on a besoin d’eux, ou qu’arrivent, manquablement, quand on voudrait qu’y soyent pas là !

(Guignol arrive en courant)
Guignol : Qu’est-ce donc que t’as à crier comme ça, Gnafron ?

Gnafron : (au public) : Voyez ce que je vous disais !

(se tournant vers Guignol) : Salut Guignol, te tombes bien ; je voulais justement te demander conseil. Velà de quoi y s’agit…

Le montreur de marionnettes (en coulisses) : Stop ! Coupez !

(Le montreur de marionnettes entre sur la scène. Gnafron et Guignol se sont immobilisés. Ils se regardent, interrogatifs, puis suivent des yeux le montreur de marionnettes qui les ignore et va se placer sur le devant de la scène.)
Le montreur de marionnettes (s’adressant au public et montrant le texte de la pièce) : Alors ici, Gnafron explique à Guignol le parquoi et le comment y barguigne à répondre, ou pas, à l’invitation ; mais comme vous êtes déjà informés, on répète pas.

(Le montreur de marionnettes fait demi tour et retourne en coulisse.)
(
Gnafron et Guignol se regardent, interloqués.)

Gnafron : Y me semble qu’il a bien changé c’lui-là. Il est petêtre malade…

Guignol : Petêtre. Ou alors c’est qu’y va bientôt y avoir des élections…

Gnafron : Possible. Mais reprenons plutôt notre histoire…

(Ils se remettent en situation)
Guignol : Dis donc, Gnafron, t’es bien sûr qu’y t’a invité, le maire du 4ème ? Fais me donc voir cette invitation et l’enveloppe que va avec, que je les arreluque de plus près.

Gnafron : Velà. (il tend les documents en question à Guignol)

Guignol (après avoir inspecté l’invitation et l’enveloppe) : C’est bien ce qu’y me semblait ; c’te invitation, l’est pas pour toi.

Gnafron (surpris et déçu) : Hein ? qu’est-ce que te dis ?

Guignol : Apinche par toi même : « Monsieur Philippe Chaslot, journaliste, 103 montée de la Grand’Côte ». C’est pour ton voisin du cintième. Le facteur se sera trompé.

Gnafron (désappointé) : Oh ! je suis ben déçu, je m’imaginais que…

Guignol (agacé, interrompt Gnafron) : Te vas pas décesser de bétiser ! Faudrait savoir ce que te veux ! Te devrais être content d’en avoir fini avec ton dilemme que te tracassait.

Gnafron (d’une voix pleurnicharde) : D’une certaine façon, oui ; mais, par ailleurs d’un autre côté, ça me fait peine que le maire de la Croix-Rousse y m’invite pas. Petêtre que, lui non plus, il n’aime pas mon ovrage, à moinsse que je l’ai froissé sans le faire esqueprès…

Guignol : Mais pas du tout ! Attends que je t’explique.

En fait, le maire du 4ème, y voulait justement t’inviter parsonnellement, en se disant que ça te ferait plaisir d’être reçu dans les salons de la République et tout particulièrement à la mairie de la Croix-Rousse que la façade porte un hommage aux canuts insurgés de 1831 ; puis, par soudain, sur ces entrefaites, y s’est souviendu que te pouvais pas supporter le beaujolais nouveau ; alors y s’est pensé que, sans doute, ça te chagrinerait de croire qu’y s’en rappelait plus et donc, comme de bien s’accorde, y s’est dit , en son for intérieur, que ça serait bien qu’y ne t’invite pas et que, sûrement, t’en serais bien content.

Gnafron (admiratif) : Ben, mon belin, te devrais te lancer dans la politique !

Guignol (offusqué) : Comment ça ?

Gnafron : Je veux dire que t’explique bien. Je crois que le merdelion y devrait t’embaucher dans son Cabinet. Comme ça, te pourrais expliquer à tout un chacun comment y se fait que la municipalité, pour bien montrer qu’elle veut réduire la place de la voiture en ville et installer des « zones 30 » que redonnent leur place aux piétons et aux vélocipédistes, elle trouve rien de mieux à faire que d’organiser une démonstration de voitures de course « formule 1 » en plein centre-ville et pis aussi d’essaimer partout, jusque sur les Pentes, des parcs de stationnement qu’attirent les automobilistes, plus sûrement que la confiture attire les guêpes.

(Peu à peu l’obscurité se fait sur la scène, pendant qu’on entend, au loin, la chanson de Jean-Baptiste Clément…)

Mais il est bien court le temps des cerises

Où l’on s’en va deux cueillir en rêvant

Des pendants d’oreilles

Cerises d’amour aux robes pareilles

Tombant sous la feuille en gouttes de sang

Mais il est bien court le temps des cerises

Pendants de corail qu’on cueille en rêvant.

Scène 5

(Une rue de Lyon, la nuit. La scène est éclairée par des guirlandes lumineuses)

Gnafron (s’adressant au public) : Maginez-vous que des mécréants prétendent que c’est à Lédéhef qu’on doit les illuminations du 8 décembre à Lyon. Les ignares ! y savent même pas qu’à Lyon on a inventé les illuminations avant l’électricité !
La preuve que les illuminations de Myrelingues étaient déjà célèbres au 19ème siècle, c’est qu’en 1878 Arthur Rimbaud leur a dédié un livre que se nomme justement « Illuminations ». Et pour bien faire comprendre combien il était admiratif des festivités yonnaises, le génial poète de Charleville a écrit : « … les fonds publics s’écoulent en fêtes de fraternité… ».
Et toc ! velà pour les benazets et autres caquenanos que ne connaissent rien à Lyon et à la poésie.
Bien sûr, par après, ça a un peu changé. Au jour d’aujourd’hui, où le commerce et la finance priment les traditions et la fraternité, les illuminations yonnaises sont devenues la « Fête des Lumières » ; et je ne suis pas sûr qu’il faille y voir un hommage aux philosophes du 18ème siècle…
Quoi qu’il en soit, cette année, mon ami Claudio s’en est venu à l’esqueprès de Bordeaux pour arreluquer les festivités lumineuses du 8 décembre. Il a été très impressionné par le nombre de badauds qui, en groupe et en procession, lentibarnaient dans les rues. Il a aussi été surpris de constater que la fontaine de Bartholdi, sur la place des Terreaux, se nomme la Garonne. Je crois que ça l’a un peu vesqué, vu qu’à Lyon on a déjà le Rhône et la Saône, et qu’il a trouvé bien prétentieux d’acuchonner ainsi les fleuves et les rivières en s’appropriant la Garonne et ses affluents.
J’ai bien tenté de lui expliquer que c’était un effet du célèbre humour de nos édiles yonnais… -humour que l’actuel Merdelion s’attache à illustrer par l’admiration et le respect qu’il me témoigne presque quotidiennement et que seule égale la dévotion que je lui porte en retour… Mais j’ai bien vu que Claudio ne me croyait pas vraiment ; et comme je ne voulais pas qu’une quelconque contrariété perturbe son séjour à Lyon, je me suis empressé de lui proposer d’aller de collagne se restaurer à Vert-Olive -qui est, comme chacun sait, le plus agréable des restaurants du bas des Pentes de la Croix Rousse-.
Là, tout en vidant nos pots de Côtes, on s’est souviendu que la phrase de Rimbaud, rapport aux Illuminations, était exactement : « Pendant que les fonds publics s’écoulent en fêtes de fraternité, il sonne une cloche de feu rose dans les nuages ».
ça nous a fait comme un coup de tavelle sur le coqueluchon, à cause qu’on ne voyait pas bien ce que pouvait être une cloche de feu, et pis, qu’en plus, Claudio affirmait que le feu n’est jamais rose.

Finalement, pour venir à bout de la discussion, on a recommandé des pots de Côtes qu’ont eu un effet des plus bénéfiques sur nos mémoires. Y nous est reviendu que le génial Arthur avait également écrit : « Et la soif malsaine Obscurcit mes veines ». Y nous a semblé que ça faisait écho à la devise du bon Rabelais : « Buvez toujours avant la soif, et jamais elle ne vous adviendra ».
Comme bien s’accorde, nous nous sommes appliqués à approfondir consciencieusement le sens de ces deux fragments essentiels de nos humanités. Nous avons mis tant de zèle dans la pratique de cet exercice littéraire, que nous sommes ressortis de Vert-Olive profondément émus. Si tellement émus que nous avons oublié les quenelles de chez Bobosse que Claudio était aller amoureusement chercher aux Halles pour rapporter, en souvenir de Lyon, à sa fenotte.

Claudio est rentré à Bordeaux, mais les quenelles sont restées dans mon frigo. Y va falloir que je les lui porte.
Remarquez, ça ne me fait pas peine d’aller à Bordeaux. D’autant que Claudio m’a garanti qu’on n’y buvait pas plus l’eau de la Garonne, qu’on ne boit celle du Rhône à Lyon, et qu’en plus, par bonheur, il n’y a pas de Beaujolais. La seule chose qui me chiffonne, c’est que je ne sais pas si on y trouve des pots de Côtes. Claudio m’assure qu’ils ont, là-bas, une sorte de variété de Côtes du Rhône qu’ils appellent le Bordeaux. Je trouve que c’est bien prétentieux de donner le nom de sa ville à un vin, plus encore que de mettre la Garonne et ses affluents entre le Rhône et la Saône… mais je vais faire comme si je n’avais pas remarqué.

Paceque, pour dire la vérité, j’ai bien envie de rendre visite à Claudio. Et pis aussi à sa fenotte.
La fenotte de Claudio, elle est la plus chenuse de toutes les fenottes de mes amis. Elle a des yeux, si vous les voyiez !… et pis aussi un sourire… sans même parler de tout le reste. Même que quand elle nous regarde, on se sent tout flageolant sur ses fumerons, on reste là, pique-plante, la bouche ouverte… et alors, y semble « qu’il sonne une cloche de feu rose dans les nuages »… tandis qu’au fond de soi, ça fait comme des Illuminations.

(Peu à peu les guirlandes s’éteignent. On entend le dernier couplet du Temps des Cerises, que Gnafron reprend en fredonnant… )

J’aimerais toujours le temps des cerises

C’est de ce temps-là que je garde au cœur

Une plaie ouverte

Et dame Fortune, en m’étant offerte

Ne saura jamais calmer ma douleur

J’aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au cœur.

Gnafron
Janvier 2007






Personnages :
Gnafron, regrolleur (cordonnier spécialisé dans la réparation des vieilles grolles).
Guignol, compère de Gnafron, canut au chômage.
Mère Cottivet, vieille lyonnaise, voisine de Gnafron et de Guignol.
Le montreur de marionnettes, dit le Tireur-de-ficelles.




Publicité
Publicité
Lyonnaiseries et autres gandoises
Publicité
Publicité